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Portrait d'entrepreneur : Thierry BONHOMME, dirigeant de l'entreprise SOLF Production

Thierry BONHOMME, dirigeant de l’entreprise SOLF Production (27) nous livre son témoignage d’entrepreneur. 

Premières expériences professionnelles, rachat de l’entreprise en 2014 et savoir-faire de l’unique fabriquant de lunettes 100% françaises en Normandie, à découvrir dans cette nouvelle édition du « portrait d’entrepreneur ».

Bonne lecture !

 

Le parcours :

Pouvez-vous nous parler de votre parcours en quelques mots ...

Je m’appelle Thierry BONHOMME, je dirige l’entreprise SOLF Production située à Guichainville (27) aux côtés de Jean-François LUFEAUX mon associé.

Je travaille depuis quelque temps maintenant, j’ai 55 ans et j’ai commencé ma carrière dans l’informatique, dans diverses sociétés françaises puis éditeurs de logiciels américains en tant qu’informaticien, commercial et manager. La dernière expérience significative s’est faite chez le 5ième éditeur mondial de logiciels américain, chez qui j’ai occupé des fonctions commerciales qui m’ont permis de vendre des logiciels à de grands groupes français et internationaux.

Au cours de cette étape de ma vie professionnelle, j’ai fait la connaissance de Jean-François LUFEAUX, qui avait la même fonction que moi et qui est aujourd’hui mon associé chez SOLF Production.

J’ai commencé ma carrière d’entrepreneur en 2002, à la suite d’une volonté latente de créer quelque chose. J’ai donc décidé, sans surprise de lancer une activité de logiciels informatiques avec Jean-François et un autre associé. Nous proposions alors des applications mobiles, logiciels d’entreprises, applications web… dédiés aux entreprises. La société comptait 50 consultants en France et 90 à Madagascar.

Dix ans plus tard, nous avons vendu l’entreprise pour poursuivre notre vie d’entrepreneurs cette fois-ci dans un secteur « Brick and Mortar » avec des produits réels. Nous nous sommes alors tournés vers l’industrie, secteur pour lequel nous portions un fort intérêt. Notre troisième associé a, quant à lui, poursuivi dans le domaine des logiciels informatiques.

Qu'est-ce qui vous a conduit chez SOLF Production ?

Suite à la vente de notre société de logiciels informatiques en décembre 2012, nous avons accompagné notre cessionnaire pendant un an. Puis nous avons passé une grande partie de l’année 2014 à chercher une entreprise à racheter. Nous avions des caractéristiques précises sur la taille de l’entreprise, les métiers, le secteur et avons travaillé en lien avec la CCI de Paris pour affiner nos recherches.

C’est au hasard d’une rencontre que nous avons découvert SOLF Production et avons rapidement été séduits par deux éléments : il y avait un assez fort savoir-faire et peu de faire-savoir.

Pas de site internet, pas de commerciaux, peu de visibilité de l’entreprise à l’extérieur et des activités historiquement portées pour les mêmes clients donc un risque assez fort en cas de perte de l’un des clients.

Nous nous sommes dit que nous pouvions insuffler à SOLF Production le faire-savoir qui lui manquait et avons ainsi démarré cette nouvelle aventure.

En 2014, l’entreprise travaillait avec six clients et réalisait un CA de 1.8 millions d’euros. Sept ans plus tard, nous avons vingt clients, réalisons un CA deux fois supérieur et avons un carnet de commandes trois fois supérieur à l’année du rachat. SOLF Production connaît actuellement une phase de croissance et de développement sans précédent.

 

L’entreprise :

SOLF production est une manufacture qui conçoit et fabrique des montures de lunettes « Made In France ».


Crédit photos : SOLF Production

Quels sont les marchés relatifs à votre activité ?

Le marché de la lunette est structuré en plusieurs segments :

  • Le segment « low cost » qui représente les produits en plastique que nous retrouvons dans de nombreux points de vente et qui sont à 100% issus de production asiatique.
  • Le segment « intermédiaire » dont le prix public des montures varie en 100€ et 200€ et sont à 95% issus de productions chinoises.
  • Le segment du « luxe » pour lequel les montures sont plus onéreuses et réalisées avec des métaux précieux tels que le plaqué or.
  • Le segment du « créateur » :

Nous sommes présents sur les segments du « luxe » et du « créateur ».

Ces segments se différencient par la singularité des montures, au travers de leurs formes, des couleurs et d’une manière générale par la fabrication des produits. Le design des montures est extrêmement soigné et nous les produisons en petites/moyennes séries.

Il y a comme une notion d’exclusivité sur ces montures qui ne seront vendues qu’à un nombre limité d’opticiens, positionnés sur le marché du créateur. C’est ce que nous appelons le « No brand ».

Qui sont les clients de SOLF Production ?

Nous travaillons pour 20 clients qui détiennent leur propre marque. Nous sommes également propriétaire d’une marque de montures qui s’appelle STRUKTUR EYEWEAR, peu connue du grand public mais connue des opticiens créateurs.

Les marques de créateurs :

Nos clients sont généralement des PME dirigées par des personnes venant du monde de la mode, du design ou de l’optique. Nos clients ont des idées, dessinent des formes de montures, établissent les couleurs qu’ils souhaitent pour leur produit et viennent nous voir pour concevoir, fabriquer les lunettes et bénéficier de notre regard expert.

La marque STRUKTUR EYEWEAR :

Sur ce marché, nous nous devons de proposer des modèles différenciants au design travaillé, sans être trop original. Il s’agit de trouver un juste milieu entre le « too much » et le « trop conventionnel ». Au niveau des couleurs, nous travaillons à la fois des couleurs fortes et appuyées, comme des couleurs plus softs. Certaines matières sont réalisées exclusivement pour Struktur eyewear.

Qu’est-ce qui fait la singularité de votre entreprise ?

Les clients recherchent chez nous plusieurs choses.

Tout d’abord, notre capacité à mettre en forme leurs idées. Notre bureau d’études accompagne nos clients dans la traduction de leurs rêves : d’une idée, nous établissons un prototype fabricable avec des méthodes d’industrialisation.

Notre savoir-faire est également reconnu dans toutes les étapes de fabrication puisque notre client nous sous-traite l’intégralité du projet.

Nous prenons en charge tous les aspects logistiques : trouver et sourcer les acétates de cellulose qui sont majoritairement faits en Italie, la gestion de l’approvisionnement en matières, la réalisation de toutes les étapes de façonnage de la monture, il y a entre 80 et 100 opérations pour fabriquer une monture de lunettes et dont les trois quarts sont des opérations manuelles, et bien évidemment la livraison des montures que nous garantissons dans le respect des délais annoncés.

Nos clients apprécient notre proximité. Une proximité géographique puisque la plupart d’entre eux sont à Paris, mais également la proximité dans la relation de travail que nous établissons à leurs côtés.

Enfin, notre expertise et notre créativité sont les maîtres-mots de nos activités. La mode est un éternel recommencement : pour les lunettes c’est le cas également, mais nous nous devons d’apporter quelque chose de nouveau pour surprendre le client final. Tout se cache dans le détail et c’est exactement ce que nos clients viennent chercher en nous confiant leurs projets.

Solf Production en quelques chiffres ?

  • Création de l’entreprise en 1966
  • Rachat de l’entreprise en 2014 par Thierry BONHOMME et Jean-François LUFEAUX
  • 90 000 lunettes fabriquées en 2021
  • 125 000 lunettes l’an prochain et 150 000 l’année suivante
  • 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année
  • 45 collaborateurs
  • Une parité hommes / femmes au sein des équipes
  • 20 clients
  • 50% des lunettes fabriquées sont exportées
  • SOLF Production est l’un des huit derniers fabricants de lunettes françaises
  • Unique fabricant de lunettes en Normandie

Quels sont les métiers que l’on retrouve dans votre entreprise ?

Nous avons une véritable conjugaison de talents différents pour donner vie à une paire de lunettes.

Nous avons connu un profond changement dans les métiers de l’entreprise depuis que nous avons repris l’activité.  Un quart des opérations sont faites à partir de machines à commandes numériques, les autres sont manuelles.

Il y a une grande diversité dans les fonctions occupées, principalement catégorisées sur les activités suivantes :

  • Des activités de bureau d’études : notamment pour le design des lunettes pour lesquelles nous utilisons des logiciels de dessins et de fabrication assistée par ordinateur ;
  • Du personnel dédié à la fabrication : sur machines à commandes numériques et manuelles ;
  • De la logistique : nous avons de très nombreux composants, des centaines de références d’acétates et d’armatures, visses, charnières, verres solaires…
  • Des personnes dédiées à la finition des lunettes : montage des lunettes, polissage à la main, ajustements, nettoyage, emballage, étiquetage, expédition…
  • Et bien sûr des fonctions supports.

Et donc derrière ces métiers, quelles sont les étapes de fabrication d’une paire de lunettes ?

Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que la matière que l’on usine est de l’acétate de cellulose. C’est dérivé du coton avec des propriétés d’hypoallergénicité.

Cette matière est livrée sous forme de feuilles, dans laquelle nous pouvons réaliser jusqu’à 75 faces de lunettes. Ces feuilles, nous les usinons, c’est-à-dire que nous venons les découper, par fraisage pour sculpter la lunette à partir du bloc de matière.

Pour fabriquer les branches, nous devons faire rentrer l’armature en métal dans la branche de lunettes. Pour cela, nous chauffons le milieu de la branche pour permettre à l’armature d’y pénétrer en force. Ce sont les machines à commandes numériques qui effectuent cette étape.

Pour ces métiers dits « numériques », nos ingénieurs et techniciens conçoivent des dessins, des programmes numériques de découpe et font fonctionner les machines dans l’atelier.

Nous avons ensuite une phase importante dans la fabrication qui s’appelle la phase de polissage. L’acétate de cellulose tel que nous le recevons et travaillons est terne et brut, la phase de polissage intervient ainsi pour rendre la lunette lisse et brillante.

Pour cela, nous polissons les lunettes dans des tonneaux qui contiennent des bûchettes de bois et des pâtes. Les lunettes sont placées à l’intérieur de ces tonneaux qui, pendant une semaine, vont tourner sur eux-mêmes permettant aux bûchettes de bois de frapper l’acétate en trois étapes successives.

Le fait que les bûchettes frappent l’acétate va le rendre complètement lisse et lors de la dernière étape, il va briller. Il y a ici un savoir-faire ancestral qui nécessite de prendre en compte de nombreux facteurs : la vitesse à laquelle les tonneaux vont tourner, la durée de polissage, la quantité de bûchettes, le type de pâtes, la température, l’hygrométrie, le nombre de pièces que l’on y place, le sens de rotation des tonneaux, le nettoyage des équipements…

En parallèle, lorsque nous usinons une lunette, sa forme est plate. Il convient alors d’adapter la lunette à la forme d’un visage, c’est-à-dire de cambrer la lunette pour qu’elle épouse parfaitement le visage de son utilisateur. La monture est ainsi placée dans une presse à température rigoureusement définie.

Ensuite il convient d’assembler les différents éléments de la lunette. Les branches sont montées avec des charnières, en veillant à ne pas endommager l’acétate, sans faire de bulles et en accordant l’emplacement pour que les branches soient parfaitement alignées.

La dernière étape consiste au marquage des lunettes. Nous sommes ici soumis à des obligations légales avec la notion de marque, la notion de Made In France, etc…

Quelles sont les dernières innovations de SOLF Production ?

Nous avons récemment investi dans une machine à commande numérique pour faire des prototypes. Cette technologie nous permet de proposer à nos clients des prototypes selon la forme demandée et la ou les couleur(s) souhaitée(s). Ces essais permettent au client de se projeter et de déterminer d’éventuelles modifications avant le lancement de la fabrication.

Nous nous sommes également équipés de deux machines de découpe laser visant à graver les branches de lunettes selon, entre autres, les indications réglementaires.

Nos récents investissements nous permettent une plus grande agilité et une réduction des coûts de production d’un modèle.

Quels sont les prochains projets de l’entreprise ?

Nous avons pour projet de doubler la surface de l’entreprise à partir du mois d’août prochain. Nous avons également établi une réorganisation globale des flux dans l’entreprise et souhaitons favoriser l’ergonomie des postes de travail. Cette nouvelle configuration devrait se mettre en place dès janvier 2022.

En parallèle, un projet de transformation vers l’industrie 4.0 est en cours.

Nous démarrons un programme de 18 mois de capitalisation du savoir-faire, de formation en ligne sur chacune des 100 étapes de fabrication, et souhaitons combiner cela avec des fiches de postes et entretiens individuels pour que chacun puisse progresser individuellement et collectivement.

Trois quarts des opérations sont actuellement manuelles. Nous souhaitons donc évoluer vers de nouvelles technologies et cobotiser certaines fonctions. Cela permettrait de combiner les tâches effectuées par les robots et les tâches accomplies par les collaborateurs et ainsi remonter le personnel dans la chaîne de valeur de l’entreprise. Cette cobotisation permet également d’envisager une baisse des TMS sur des fonctions parfois répétitives.

Quelles sont les valeurs de l’entreprise que vous défendez ?

Le Made In France : Nous nous présentons comme manufacture et défendons la valeur du « Made In France ». Nous croyons au savoir-faire français et c’est d’ailleurs pour cela que nous avons racheté l’entreprise : pour concevoir et fabriquer en Normandie des lunettes 100% françaises.

L’Humain : C’est le rôle sociétal d’une entreprise, de faire travailler des compétences à tous les niveaux de qualification et donner du travail à toutes les catégories sociales.

Placer l’humain au cœur des activités de notre entreprise c’est travailler ensemble, discuter, collaborer et apprendre les uns des autres.

L’honnêteté : Nous avons à cœur de travailler de manière honnête et transparente avec les parties prenantes de l’entreprise. Envers nos clients, cela passe par le fait de savoir recentrer les idées lorsque les projets clients ne sont pas réalisables et surtout de bâtir avec eux des relations de long terme.

L’honnêteté, le respect et la confiance permettent de bâtir ce type de relations de travail.

En 3 mots, comment qualifiez-vous votre entreprise ?

Proximité – Qualité – Créativité !

Le rôle de dirigeant d’entreprise :

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez en tant que dirigeant d’entreprise ?

Je dirais que le recrutement est l’une des principales difficultés que nous rencontrons. Le personnel est le premier actif d’une entreprise et pour autant c’est notre première source de préoccupation, tant sur le recrutement que sur la fidélisation ou la motivation.

Il est toujours compliqué de comprendre que tant de personnes sont à la cherche d’un emploi en France alors que pour nous, entreprises, il est si difficile de trouver du personnel.

Une autre difficulté majeure, qui pour le coup est très liée à notre secteur d’activité, est l’appui des pouvoirs publics sur la défense du « Made In France ».

Ce que j’entends par là c’est la transparence et l’honnêteté vis-à-vis des porteurs. Nous souhaitons que les lunettes dites « Made In France » soient véritablement faites en France et qu’il y ait un contrôle effectif. De même, nous souhaitons que pour les lunettes faites en Chine, la mention « Made In China » soit obligatoire. C’est le cas aux Etats-Unis, mais pas en France.

Cela permettrait aux consommateurs, lorsqu’ils achètent une paire de lunettes de marque très connue qui vaut parfois jusqu’à 400€, de connaitre la provenance réelle de ces lunettes. Si le consommateur voit « Made In China » sur une paire de lunettes à 400€, il trouverait probablement le prix de la monture injustifié. Cela pourrait inciter ces marques à relocaliser leur production en France, nous embaucherions du personnel, nous nous développerions et tout le monde y trouverait son compte.

Quels seraient vos conseils pour diriger une entreprise ?

Avoir le regard lointain et les pieds sur le frein et l’accélérateur. Il faut dire ce que l’on va faire et faire ce que l’on a dit.

Pour cela il faut écrire le business plan : c’est le scénario du film tel qu’il doit se dérouler. Il permet de partager une même vision et expliquer aux parties prenantes ce que l’on va faire. Année après année, mettre en œuvre ce business plan nous permet de piloter l’activité, avoir une vue d’ensemble sur la rentabilité et savoir quelle est la ligne directrice de l’entreprise.

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

Je dirais qu’Internet est une source d’inspiration immense, c’est une bible ouverte qui nous permet d’avoir accès à une multitude d’informations. On peut y trouver de l’inspiration pour la gestion d’une entreprise comme de l’inspiration en matière de créativité.

L’architecture, la peinture et l’art d’une manière générale sont également des sources d’inspiration pour notre métier.

Votre plus grande fierté ?

L’une de nos fiertés, à court terme, c’est d’avoir réussi à passer « l’étape COVID ».

Nous étions face à une grande incertitude, l’entreprise a stoppé la production durant 6 semaines de fermeture et aujourd’hui nous sommes fiers : fiers d’avoir réussi à protéger les collaborateurs et fiers d’avoir su rebondir.

D’une manière plus globale, le fait de défendre un savoir-faire de lunetier français, un des derniers fleurons dans un domaine, est une véritable fierté.

Plus d’informations et contacts : 
Thierry BONHOMME – Dirigeant de l’entreprise SOLF Production.

 

SOLF Production :

  • 620 rue Georges Bellenger – 27930 Guichainville
  • 02 76 42 02 09
  • www.solf.fr